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DOSSIER : Au diable la culpabilité! Rencontre avec Yves-Alexandre Thalmann

DOSSIER : Au diable la culpabilité! Rencontre avec Yves-Alexandre Thalmann

Au départ, il faut savoir qu’il existe une saine culpabilité, soit notre gendarme intérieur qui nous empêche de transgresser les règles, par exemple faire du mal aux autres. Et puis il y a la culpabilité que j’ai appelée morbide, soit celle où nous prenons en charge ce qui ne nous appartient pas. Un exemple? Le bien-être de l’autre, qui ne relève pas de nous… Yves-Alexandre Thalmann

Lucie Douville   


Yves-Alexandre Thalmann a eu un parcours pour le moins atypique. Après avoir étudié la physique des particules et obtenu un doctorat en sciences naturelles, il s’est réorienté vers ses premières amours, la psychologie. Là aussi, avec un regard étonnant : son intérêt porte davantage sur ce qui est commun à nous tous plutôt que sur ce qui nous distingue. L’Humain et son fonctionnement général plutôt que nos petits egos…

Ce que nous avons en commun?
La culpabilité occupe sûrement une des premières marches du podium. Après avoir été lui-même pris dans ses filets, Yves-Alexandre Thalmann a voulu comprendre quel était son modus operandi. C’est donc avec un regard à la fois psychologique et scientifique qu’il s’est consacré à l’étude de la culpabilité. Qu’en a-t-il appris? 

Je vous laisse le découvrir au travers de l’entrevue qu’il a accordée à Marilyne Petit pour le Magazine VIVRE.

Physique des particules, sciences naturelles, psychologie, y a-t-il un fil d’Ariane?
Le fil d’Ariane a toujours été le même : j’ai besoin de comprendre. Je suis en amour avec les idées. J’aime comprendre les choses. Plusieurs personnes me disent : oui, mais la psychologie et la physique ça n'a rien à voir… Mais pour moi, c’est la même chose! Pour l’une comme pour l’autre, j’ai besoin de comprendre comment ça marche.

Pourquoi avoir écrit un livre sur le thème de la culpabilité?
Pour me guérir, bien sûr… (rires) Parce que je la vivais de l’intérieur et je souhaitais m’en défaire, et pour cela en comprendre les rouages. Ma formation scientifique m’y a aidé : voir l’arrière du décor, les coulisses, plutôt que ce qui paraît évident. La culpabilité n’y échappe pas. Elle n’est pas ce qu’elle paraît au premier abord.

Dans quel sens?
Quand on se sent coupable, on se juge fautif, ce qui est très désagréable, voire à l’origine de souffrances marquées. Mais cela occulte une autre réalité, c’est que nous prenons alors, inconsciemment, une posture de pouvoir. Nous nous reprochons nos actions (ou inactions) comme si nous avions le pouvoir de tout changer… La face cachée de la culpabilité, c’est la toute-puissance.

Dans votre livre, vous parlez de la culpabilité que vous ressentiez par rapport à votre mère. Qu’avez-vous réalisé?
J’ai réalisé que je prenais sur moi la responsabilité de comment ma mère se sentait dans sa vie, et quand j’en suis devenu conscient, j’ai arrêté d’entretenir cette façon de faire. Donc, quand ma mère se sentait seule, je pouvais dorénavant me dire : c’est son choix, ça ne m’appartient pas, je n’en suis pas responsable. Ma mère avait autour d’elles plusieurs opportunités pour combler cette solitude. Elle avait le choix de les saisir, ou pas.

Il y a donc une saine distance qui s’est créée. Car lorsqu’on se sent coupable, on annihile cette distance entre nous et l’autre, on prend tout sur nos épaules. Ça m’a permis de me libérer du poids de cette responsabilité que je portais. Ça m’a surtout libéré du sentiment de toute-puissance qui me laissait croire que moi, je pouvais aider ma mère à être heureuse.

Est-ce que ça a changé d’autres choses dans votre vie?
C’est sûr que ça ne se fait pas du jour au lendemain, mais c’est un poids énorme que je portais sur mes épaules et qui, tout à coup, a lâché. Être responsable de soi-même, et laisser les autres prendre la responsabilité de ce qu’ils vivent, c’est le fondement des relations saines… Avec à la clé le deuil de l’idée que l’on peut sauver les autres.

D’ailleurs, je ne pourrais pas faire mon travail de psychologue si je cultivais ce sentiment de toute-puissance qui me gardait dans l’illusion que je peux sauver l’autre en prenant sur moi ce qu’il ou elle vit. Aujourd’hui, dans mon bureau, si je vois quelqu’un qui me raconte des horreurs, quand je ferme la porte le soir, les horreurs restent dans le bureau. Je continue ma vie et je me dis : « Tiens, qu’est-ce que je peux faire pour me distraire ce soir? »

Qu’est-ce que vous avez compris de plus important par rapport à la culpabilité?
C’est une question liée à la notion de responsabilité. Au départ, il faut savoir qu’il existe une saine culpabilité, soit notre gendarme intérieur qui nous empêche de transgresser les règles et de faire du mal aux autres. Et puis il y a la culpabilité que j’ai appelée morbide, soit celle où je prends en charge ce qui ne m’appartient pas, le bien-être de l’autre par exemple. Ça ne m’appartient pas!

Je prends un autre exemple… Si j’ai une discussion avec un ami et, tout d’un coup, je m'emporte. Je commence ensuite à le regretter en me disant que je n'aurais pas dû dire ça, que l’autre va m’en vouloir et je me sens coupable.

En réfléchissant ainsi, je nie le libre arbitre de l’autre. Même si l’autre a été offensé, il peut venir vers moi et me dire : « J'aimerais que tu t’excuses… » Il pourrait aussi couper les ponts. Mais ça, ça lui appartient! Ça ne dépend pas de moi. Et c’est ça la clé de compréhension, le choix appartient à l’autre. Je fais mes choix, il fait les siens.

Si je commence à me demander comment l’autre va réagir, je n’aurai pas d’autre réponse que celles venant de mes propres émotions, comment moi je me serais senti. Moi je me serais peut-être senti blessé, mais lui peut-être pas!

Et donc, se sentir coupable, c’est se juger responsable de la réaction d’autrui. En faisant ça, on va trop loin. On nie aussi bien le libre arbitre de l’autre que sa propre intériorité. C’est un peu comme de déresponsabiliser l’autre de ses propres émotions pour combler notre besoin de prendre soin de lui.

Quelles sont les origines de la culpabilité?
Enfant, par le biais de l’éducation, on intériorise des normes et des règles pour bien vivre en société, car la culpabilité est un sentiment social et « prosocial ». Mais un jour ça va trop loin. Il y a débordement.

On n’a qu’à regarder autour de nous pour voir combien la culpabilité est un levier de pouvoir immense. C’est sans doute le levier le plus puissant pour obtenir ce que l’on veut des gens. Il y a des institutions, et ici je pense à l’Église catholique, qui s’y est prise drôlement bien pour amener les gens à faire ou à ne pas faire certaines choses.

L'Église a fait de la culpabilité l’outil de contrôle par excellence…
Effectivement. Car si on lit les évangiles, dans les paroles du Christ on ne trouve rien sur la culpabilité, au contraire! Pardon, pardon, oui, mais pas coupable, coupable. Dans mon enfance, c’était la religion de la culpabilité universelle et certainement pas de l'amour universel. Coupable! Voilà! On était coupable avant même d'avoir choisi quoi que ce soit. Coupable parce que nos ancêtres, parce que nos parents, parce que ceci, parce que cela, on était coupable!

Et paradoxalement, bien que l’Église n’ait plus la même emprise qu’avant, les gens se sentent toujours coupables. C’est l'aspect sanitaire qui est venu à la rescousse, ce que j’appelle les « néoculpabilités ». Si à l'époque on se sentait coupable de ne pas aller à la messe, aujourd’hui on se sent coupable de ne pas se nourrir correctement, de ne pas se déplacer correctement, de polluer la planète, de ne pas faire assez d’exercice, de ne pas méditer…

Version intégrale du texte dans le numéro où est paru cet article

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