Aller au menu principal Aller au contenu principal

MON DOC ET MOI : Inflammation et auto-immunité… Et si notre intestin y était pour quelque chose!

MON DOC ET MOI : Inflammation et auto-immunité…  Et si notre intestin y était pour quelque chose!

Un des plus grands visionnaires en santé est incontestablement Hippocrate qui, il y a plus de 2400 ans, aurait semé l’idée que les aliments pourraient faire office de médicament et qu’en nous intéressant à notre intestin, nous pourrions trouver des solutions à plusieurs de nos problèmes de santé. C’est quand même étonnant que, tant d’années plus tard, on soit encore surpris par l’idée que nos choix alimentaires puissent influencer grandement notre santé, au-delà du maintien du poids santé. Pourtant, bon nombre des maladies chroniques peuvent être reliées à ce qui se passe dans notre tube digestif…

Dre Catherine Bouchard


Personnellement, en tant que médecin, je n’avais jamais réellement fait le lien jusqu’à ce que ce soient mes patients qui me mettent la puce à l’oreille…

Après avoir reçu les confidences de quelques patients qui m’ont partagé avoir connu une diminution de leurs douleurs grâce à leurs changements alimentaires, j’ai eu envie de comprendre ce qui pouvait bien relier notre fourchette à nos articulations, notre digestion à notre inflammation.

L’inflammation, c’est…
L’inflammation est avant tout un mécanisme de protection et de guérison du corps. En cas de traumatisme ou d’infection, notre corps va libérer des messagers tels que les cytokines inflammatoires afin d’intervenir rapidement. Rougeur, œdème, chaleur seront nos alliés parce qu’ils permettront la mise en place de facteurs guérisseurs.

La douleur aigüe nous sera aussi utile en nous incitant à nous retirer afin de nous protéger d’une autre blessure. Bien qu’incommodantes, ces réactions sont essentielles à notre récupération. Cependant, plusieurs problèmes peuvent survenir si les mécanismes d’inflammation sont constamment déclenchés et que le phénomène se chronicise.

Les maladies auto-immunes, ce sont…
Parallèlement, l’autre processus qu’il est important de bien comprendre, c’est celui qui est à la base des maladies auto-immunes. L’auto-immunité est un processus par lequel le corps développe des anticorps qui vont s’attaquer à des parties saines de notre organisme, au même titre qu’ils s’attaqueraient à un méchant virus/bactérie.

Pour n’en nommer que quelques-unes, les maladies telles que l’hypothyroïdie (thyroïdite d’Hashimoto), le psoriasis, la maladie cœliaque, la colite ulcéreuse, le diabète de type 1 sont des maladies où un processus d’auto-immunité est impliqué.

Il n’y a pas d’âge
Les maladies auto-immunes peuvent se développer à tout âge. Elles affectent généralement plus souvent les femmes que les hommes. Et bien que peu connues, ces maladies affectent environ 5 % de la population et les dernières données laisseraient même présager que nous serions actuellement autour de 7-9 %.

Notre connaissance des maladies auto-immunes est assez récente, soit une cinquantaine d’années, et malgré cela il existe à ce jour plus de 100 maladies auto-immunes. Et comme toutes les maladies auto-immunes ont certaines bases communes, nous savons qu’un individu ayant une de ces maladies est plus à risque d’en développer d’autres.

Alors vous vous demanderez peut-être comment notre corps peut-il s’attaquer lui-même et surtout quel rôle peut bien jouer notre intestin dans tout ça?

Pourquoi notre corps s’attaque-t-il lui-même?
Une des fonctions de notre système immunitaire est de nous protéger contre les microorganismes envahisseurs tels que les virus et les bactéries en produisant des anticorps ou d’autres cellules de défense. Dans des conditions normales, une réponse immunitaire ne peut pas être déclenchée contre les cellules de notre propre corps.

Notre corps produit même des cellules spécifiques, les lymphocytes T régulateurs, pour assurer cette protection. Les lymphocytes T régulateurs vont aller stopper les réponses inappropriées de notre système immunitaire. Cependant, dans certains cas, ce contrôle est inefficace et les cellules immunitaires attaquent précisément les cellules qu’elles sont censées protéger.

Qu’est-ce qui est en cause?
Pour qu’une telle situation se produise, plusieurs facteurs pourraient être pris en compte. Une prédisposition génétique serait un facteur à considérer, mais ce ne serait pas la pierre angulaire de la problématique. Des facteurs potentiels pourraient aussi être associés au déclenchement de ces maladies tels que certaines infections virales ou bactériennes ou encore l’exposition à des toxines ou des polluants environnementaux.

Cependant, les facteurs reliés aux habitudes de vie ont assurément une importance majeure dans le processus de l’auto-immunité : le stress, le manque de sommeil, l’exercice, mais surtout et avant tout l’alimentation. Et c’est ainsi que nous retrouvons tout notre pouvoir d’action face à ces maladies.

L’allié des alliés pour notre santé
Notre microbiote intestinal est un précieux allié pour notre santé, bien que ses fonctions soient encore méconnues de la population en général et même encore souvent des professionnels de la santé. Pourtant, notre microbiote contient dix fois plus de bactéries que le nombre de cellules que contient notre corps en entier.

Notre microbiote intestinal représente l’ensemble des bactéries, virus, champignons et autres microorganismes qui vivent en symbiose dans notre tube digestif. Il a pour rôle de contribuer à la digestion, mais également à la production de vitamines et de médiateurs importants pour notre système nerveux. Cet écosystème intestinal, majoritairement influencé par ce que nous mangeons, travaille aussi de concert avec notre système immunitaire.

Pour un microbiote sain
Nous savons que notre apport en fibres, en protéines, en acide gras oméga 3, en phytonutriments et en pro/prébiotiques vont favoriser un microbiote sain. Cependant, environ 40 % de la composition de notre biote intestinal sera aussi influencé par d’autres facteurs tels que le stress, le sommeil, l’activité physique ainsi que la prise de certains médicaments comme les antibiotiques, les antiinflammatoires. Sans oublier les additifs présents dans les aliments transformés et les pesticides auxquels les aliments que nous consommons auront été exposés. Tout cela pourra mettre en péril ce précieux équilibre.

Un microbiote en santé se traduira par une belle diversité de bactéries, un équilibre entre les différents microorganismes, mais aussi une interaction saine avec les cellules de notre tube digestif. Dysbiose intestinale est le terme utilisé pour qualifier un déséquilibre de la flore intestinale et la dysbiose a des conséquences sur plusieurs niveaux de notre santé.

Elle est associée non seulement à des troubles digestifs, mais aussi à plusieurs maladies chroniques telles que les maladies cardiovasculaires, neurologiques, le cancer et les maladies auto-immunes. Interagissant entre l’intestin et le système immunitaire, le microbiote joue donc un rôle majeur dans les pathologies inflammatoires et auto-immunes. Les dernières recherches laissent sous-entendre qu’une dysbiose serait présente chez la grande majorité des personnes ayant une maladie auto-immune.

Quand l’intestin devient perméable
Un autre élément primordial dans le développement des maladies auto-immunes serait la présence d’un intestin perméable. L’hyperperméabilité intestinale serait potentiellement même un facteur contributif au développement des maladies auto-immunes et elle serait aggravée par la dysbiose. Pour bien comprendre ce phénomène, rappelons-nous d’abord l’anatomie et rôle de notre intestin.

Si nous regardions la paroi intestinale au microscope, nous pourrions voir que l’intestin est formé de replis que l’on appelle villosités. Les cellules des villosités sont appelées entérocytes et elles sont elles-mêmes bordées de minuscules villosités nommées la bordure en brosse. Tous ces replis permettent d’augmenter la surface d’absorption des nutriments que nous aurons digérés.

Entre les entérocytes se trouvent les jonctions serrées, petits canaux permettant de laisser passer, de façon sélective, les substances telles que les ions, les nutriments et l’eau vers l’intérieur de notre corps tout en barrant le passage aux substances indésirables telles que les microbes.

Juste en dessous des villosités intestinales se trouve non seulement notre système circulatoire qui pourra transporter les nutriments partout dans notre corps, mais aussi notre système immunitaire qui agira en tant que garde du corps afin de ne pas laisser pénétrer des substances inappropriées ou dangereuses.

Quand notre barrière ne nous protège plus
Malheureusement, plusieurs éléments peuvent altérer notre barrière intestinale et la rendre trop perméable, soit en endommageant les entérocytes directement ou en altérant le fonctionnement des jonctions serrées. Parmi les facteurs influençant la perméabilité intestinale, nous pouvons compter la dysbiose, l’alimentation, la consommation d’alcool, la prise de certains médicaments, le stress et la présence de certaines bactéries dans l’intestin.

Ainsi, un intestin plus perméable laissera entrer des particules indésirables comme des bactéries ou encore des morceaux de bactéries, comme les lipopolysaccharides, mais aussi des particules alimentaires.

Intrus en vue…
Des études ont permis de découvrir la présence d’ADN/ARN microbiens d’origine intestinale non seulement dans les articulations de gens atteints de polyarthrite rhumatoïde ou d’arthrose, mais aussi dans les organes touchés par une maladie auto-immune. L’intrusion de ces particules dans le corps mettra notre système immunitaire en mode « panique », ce qui déclenchera tout d’abord un relâchement de médiateurs inflammatoires, mais potentiellement une réaction auto-immune.

Pour donner un exemple concret, certaines bactéries se trouvant normalement dans notre tube digestif, soit les lactobacilles et les bifidobactéries, ont une similarité dans leur composition avec celle de deux protéines présentes dans la glande thyroïde, la thyroïde peroxydase et la thyroglobuline. En présence d’une hyperperméabilité intestinale, certains fragments de ces bactéries pourront traverser la membrane intestinale et faire réagir notre système immunitaire qui, à son tour, voulant nous protéger, va créer des anticorps contre ces bactéries.

Malheureusement, étant donné les similitudes, ces anticorps vont aussi avoir une action contre les protéines de notre thyroïde. Ce mécanisme, appelé mimétisme moléculaire, affectera la fonction de la glande thyroïde qui sera de moins en moins active. Cette maladie, connue sous le nom de Thyroïdite d’Hashimoto, constitue la cause la plus fréquente d’hypothyroïdie.

Surconsommation de sucre, on ne le dira jamais assez!
Un autre mécanisme important à mentionner concernant le lien entre l’alimentation et l’inflammation, c’est l’impact d’une surconsommation de glucides, particulièrement les sucres raffinés, dont la surconsommation entraine une surproduction d’insuline, hormone sécrétée par le pancréas qui permet l’entrée du glucose dans les cellules.

L’insuline est une hormone qui, lorsque sécrétée en excès, aura un effet inflammatoire et va contribuer à l’obésité et aux maladies métaboliques telles que le diabète de type 2. Parallèlement, la présence d’un taux élevé de glucose dans le sang va entrainer la production de produits de glycation avancée (Advanced Glycation Products ou AGEs), résultat d’une réaction entre les sucres circulants et les protéines. Les AGEs sont aussi corrélés avec des phénomènes d’oxydation et d’inflammation qui vont contribuer à l’inflammation chronique.

Trop ou pas assez
Le manque de certains nutriments est aussi à considérer. Effectivement, les déficits nutritionnels contribuent à altérer la santé immunitaire et la régulation de l’inflammation. Ainsi, il ne faut pas seulement penser à ce que nous devons retirer de notre alimentation, mais aussi à ce que nous devons fournir à notre corps pour qu’il retrouve des fonctions optimales.

Il est donc important de s’assurer d’avoir un apport en vitamines telles que les vitamines A, D, B, mais aussi les minéraux comme le zinc et le magnésium. Un apport en oméga 3 est aussi primordial. Pour s’assurer de bien combler ces besoins, il suffit d’avoir une alimentation saine et diversifiée, le plus loin possible des aliments transformés et des sucres raffinés, tout en visant une grande densité nutritionnelle.

Les aliments de haute densité nutritionnelle sont ceux qui contiennent le plus de vitamines et minéraux pour un nombre de calories données. Les abats, les fruits de mer, les légumes verts feuillus ainsi que plusieurs autres fruits et légumes en sont de bons exemples. Une attention particulière sur l’ajout de fibres et d’aliments fermentés tels que le kimchi, le kombucha et le kéfir nous permettra non seulement d’aider, mais de dorloter notre microbiote.

De quels aliments doit-on se méfier?
Si on veut atténuer les processus inflammatoires et auto-immuns, il nous faut non seulement éviter les facteurs qui favorisent la dysbiose, endommagent les entérocytes et ouvrent les jonctions serrées, mais aussi ceux qui altèrent la digestion et l’absorption, ou qui affectent nos fonctions immunitaires. Quelques catégories d’aliments sont donc à surveiller étant donné leur impact potentiel sur ces différents aspects.

Chez certains individus, la consommation de céréales (telles que le blé, l’orge, le seigle et le maïs pour ne donner que ces exemples) peut s’avérer problématique parce qu’elles contiennent des lectines. Les lectines sont des protéines qui peuvent traverser et endommager la barrière intestinale et ainsi déclencher le système immunitaire. Le gluten présent dans le blé, l’orge et le seigle contient, pour sa part, la gliadine, une lectine qui affectera grandement les entérocytes et favorisera l’ouverture des jonctions serrées. Les fragments de gliadine vont activer le système immunitaire et possiblement contribuer au processus inflammatoire et auto-immun.

Les produits laitiers peuvent aussi être problématiques. D’une part parce qu’ils sont une cause d’allergie chez environ 1-4 % de la population, mais aussi parce que l’intolérance au lactose est fréquente chez environ 25-75 % des gens selon l’ethnie. Les produits laitiers peuvent aussi favoriser la sécrétion d’insuline et affecter la barrière intestinale.

La consommation d’huiles raffinées, riches en oméga-6, va aussi nuire au système immunitaire et favoriser l’oxydation. Les œufs peuvent aussi être source d’allergie (2-3 % de la population) et contiennent du lysozyme, une enzyme présente dans le blanc d’œuf qui permet de protéger le jaune des attaques microbiennes et qui peut favoriser le passage de fragments de bactéries à travers la paroi intestinale.

Un peu moins connues, les solanacées, famille de plantes, fruits et légumes, sont aussi à surveiller. Dans cette catégorie, les pommes de terre, les tomates, les poivrons et les aubergines contiennent des glycoalcaloïdes qui ont un effet semblable aux lectines, favorisant potentiellement la perméabilité intestinale, et pouvant traverser la barrière et activer le système immunitaire.

Quels aliments privilégier alors?
Il faut se rappeler que nous ne réagissons pas tous de la même façon aux aliments et qu’une exclusion de ceux-ci n’est pas la solution pour tous. Pour certains, ces aliments n’auront pas d’impact, pour d’autres l’exclusion d’aliments spécifiques sera la solution qui permettra d’atténuer les symptômes. Pour d’autres, plus malades, une diète d’élimination complète sera la façon de permettre la résolution de la dysbiose, mais aussi la guérison de la barrière intestinale.

Il existe plusieurs diètes à visée antiinflammatoire comme la diète hypotoxique et le protocole AIP (Auto-Immune Paléo). De plus en plus étudié, le protocole AIP vise une exclusion complète de certains aliments pour une période prédéterminée, suivie d’une réintroduction des aliments qui pourra être faite subséquemment. Le but n’est pas d’exclure à tout jamais certains aliments, mais plutôt de les réintroduire méthodiquement afin de trouver les aliments problématiques selon les tolérances individuelles.

Il faut savoir que les diètes d’exclusion ne représenteront pas un remplacement aux traitements médicaux, mais plutôt un complément. Le protocole alimentaire AIP est toujours étudié, conjointement aux traitements médicaux conventionnels.

L’alimentation, oui! Et les autres piliers aussi!
Nous devons aussi garder à l’esprit l’importance des autres piliers de la santé dans l’équation. Le manque de sommeil et le stress sont associés à plusieurs maladies auto-immunes. L’exercice physique est un atout important de la guérison,  la relation avec les autres, avec la nature, et surtout avec nous-mêmes. 

On comprend donc que plusieurs facteurs vont favoriser l’inflammation chronique, tout comme le développement de l’auto-immunité, et que ces processus vont grandement affecter la santé globale par le développement d’une maladie auto-immune ou les conséquences d’une inflammation chronique.

Alors posez des actions concrètes dans votre quotidien afin de prendre le dessus sur l’inflammation et l’auto-immunité, mais surtout soyez visionnaires comme Hippocrate, prenez soin de votre intestin et faites de vos aliments, vos médicaments.

Version intégrale du texte dans le numéro où est paru cet article

Plus d'articles