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ÉDITORIAL : Surtout, ne m’oublie pas…

ÉDITORIAL :  Surtout, ne m’oublie pas…

On dit que la vulnérabilité est le caractère de ce qui est fragile, précaire; de ce qui peut être attaqué, blessé, endommagé. Pas surprenant qu’on cherche tous à faire comme si elle n’existait pas. Vulnérable? Moi! Surtout pas!

Et pourtant…
N'est-ce pas dans ses bras que la cigogne vient nous déposer à notre arrivée? Et, une fois notre voyage terminé, n’est-ce pas ces mêmes bras qui vont nous enlacer alors que notre corps n’aura plus la force de nous porter? 

La vulnérabilité n’est-elle pas le tout premier état d’être que nous allons expérimenter? N’est-ce pas celui dans lequel nous allons nous réfugier quand l’heure du grand départ va sonner? Peut-être est-ce le seul qui puisse permettre à notre âme de s’envoler… Alors, pourquoi l’ignorer? 

Arrête de pleurer! 
Parce qu’effectivement, dans nos jeunes années, notre vulnérabilité nous a valu d’être blessés. Imaginez un enfant qui arrive sur Terre avec un cœur grand ouvert, aussi grand que l’univers, qui vibre l’amour, l’intensité, la sensibilité, la bonté; qui vit à partir de ses émotions; qui carbure à l’imagination; qui est persuadé que tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Puis, un jour, on lui dit…

« C’est quoi cette fragilité? Arrête de pleurer. » « Reviens les deux pieds sur terre. La vie n’est pas un conte de fées. » Voilà autant de mantras qui vont venir le mettre en garde contre les « risques » associés à la vulnérabilité. Il va donc apprendre à se fermer, à se montrer fort, à faire bonne image, à ravaler ses larmes et à rester de marbre devant l’adversité. Plus rien ne pourra jamais venir le blesser, ni même le toucher.

Les années vont passer…
Des combats on va mener. Des batailles on va remporter. Mais qu’aura-t-on vraiment gagné? Une maison? Oui! Deux, peut-être. Une voiture? Oui! Surement deux aussi. Des escapades magiques dans des lieux exotiques? Oui, ça aussi. Mais à quel prix? 

Au prix d’une émotivité toujours prête à exploser, d’un corps qui montre des signes de fragilité et d’un état d’être tellement habitué à lutter qu’il ne réussit plus à se reposer sans craindre d’être attaqué. Tout ça pour quoi? Parce que, très jeune, on aura appris à se protéger contre les « risques » associés à la vulnérabilité. 

Et si on nous avait appris autre chose?
Que serait devenue notre vie si on nous avait appris que peu importe les transitions de vie que nous allons traverser, peu importe le nombre de défis à relever, notre vulnérabilité sera là pour nous accompagner; que l’ouverture gagnera toujours sur la fermeture, la fluidité sur la rigidité, l’intuition sur la raison, la confiance sur le doute, la foi sur la peur; qu’à l’image de l’eau, se laisser porter vaudra toujours mieux que de résister. 

Comme le bébé naissant, l’eau est totalement dépendante de son environnement, ce qui n’est pas synonyme de faiblesse pour autant. Elle va aller là où la Vie l’invite à aller, contourner les obstacles qu’elle va rencontrer, tout en suivant le sens du courant. Elle saura vivre les transitions de son évolution, passant de vapeur à grêlons pour retomber sous forme de pluie une fois le refroidissement fini. Et simultanément, malgré son apparente vulnérabilité, elle pourra alimenter en électricité des villes dans le monde entier ou raser un petit paradis lors d’un tsunami. Tel est le paradoxe de la vulnérabilité : puissance et fragilité.

Vous l’êtes! Nous le sommes tous!
La question n’est donc pas de savoir si vous êtes vulnérable ou pas. Vous l’êtes! Peu importe le nombre d’armures que vous allez porter pour la masquer. Vous doutez? Souvenez-vous de l’état dans lequel vous étiez la dernière fois où vous avez pris un petit bébé, si petit que vous aviez peur de le blesser. On est bouche bée, on a le souffle coupé, le cœur qui bat en accéléré. Pourquoi? 

Parce que le corps n’oublie jamais. On se souvient… On reconnait cet état d’extrême vulnérabilité dans lequel nous avons déjà été. Mais cette apparente fragilité contient aussi toute la force dont nous aurons besoin pour mener notre vie à bien. Et ça, il ne faut jamais l’oublier.  Alors… Vulnérable? Moi! Ô que oui!

 

Lucie Douville, Éditrice

Version intégrale du texte dans le numéro où est paru cet article

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