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DOSSIER : Ouvre ton attention - Rencontre avec Nicole Bordeleau

DOSSIER : Ouvre ton attention  -  Rencontre avec Nicole Bordeleau

Tout passe… Arrêtons-nous quelques secondes, fermons les yeux, et observons-nous. Nous entendons-nous seulement respirer? Tout passe… Comme nos respirations qui s’enchainent les unes aux autres et qui nous permettent d’inspirer et d’expirer jusqu’au bout de nos vies.

Par Sylvie Lauzon

 
Tout passe… Comme nos joies, nos colères, nos mauvaises journées et parfois nos mauvaises années. Tout passe… Même une pandémie. Quand on y pense, et qu’on accorde notre pleine et entière attention à la signification de ces quelques mots, on a moins peur.

Plutôt que de retenir notre souffle, accueillons ce qui nous entoure, recommençons à respirer à pleins poumons, même s’il nous faut porter un masque. S’il y a une chose que l’on peut affirmer avec certitude, c’est que tout se transforme et change constamment.

De l’insécurité à la sérénité
Tout passe. Comment vivre les changements avec sérénité. C’est le titre du dernier livre de Nicole Bordeleau qui, ces temps-ci, après avoir traversé comme nous tous l’insécurité et l’imprévisibilité engendrées par la pandémie, a choisi de privilégier la sérénité. Elle nous dit que si on avance dans la vie, on n’arrive heureusement jamais ailleurs que dans l’instant présent. De fait, on ne devient pas quelqu’un, on apprend à devenir soi tout au long de nos vies. Comme tout passe, elle a choisi d’accorder plus d’espace à son grand projet : VIVRE, juste vivre. 


TOUT PASSE
« Je suis en mode ralenti. Ce livre ne faisait pas partie de mon agenda. Ce qui est arrivé avec la Covid-19 m’a propulsée deux décennies en arrière au moment où j’apprenais que j’étais atteinte de l’hépatite C. On me disait alors qu’il n’existait ni traitement ni médicament pour m’aider et que je devrais apprendre à vivre avec. L’arrivée du coronavirus a fait remonter en moi toute l’insécurité que j’avais ressentie à ce moment-là. »

« Je me suis dit que comme j’avais déjà traversé et que je traversais encore quelque chose de similaire, je pourrais partager quelques-uns des outils que j’ai découverts et développés pour apprendre à vivre avec l’imprévisibilité de mon diagnostic. Puis je me suis rappelé que je me disais toujours : « OK Nicole. Tout passe… Pour le moment tu as mal, tu es angoissée, mais rappelle-toi que tout est appelé à changer, que tout est une expérience transitoire. »                                                                                                                                                                                                                                                                           

« Ça a vraiment transformé l’inconfort sous toutes ces formes en réconfort. J’ai prié et médité pour arriver à mettre tout ça en mots dans un livre. Tout passe… ne veut pas dire que les difficultés que l’on traverse ne laisseront pas de traces, ou qu’on ne perdra pas de plumes. Ce que ça veut dire, c’est qu’éventuellement on va retrouver nos ailes. Oui, il y aura des cicatrices et des pertes incommensurables, mais tout est appelé à changer. Tout passe… C’est ça l’impermanence des choses et des êtres. Nous ne sommes pas éternels. L’imprévisibilité de la pandémie nous permet de réaliser la préciosité de ce qui est dans nos vies. »

ACCUEILLIR LE CHAOS
« Le chaos est nécessaire. Il faut apprendre à l’accueillir. Dans le chaos, une opportunité nous est offerte, celle du laisser-aller. Depuis quelques mois, je ne parle plus du lâcher-prise que l’on utilise à trop de sauces, je parle plutôt de laisser être, le fameux « Let it Be » des Beatles. Le chaos, quand on le laisse être, permet l’émergence de quelque chose. Accueillir le chaos est une pratique vertigineuse, pas facile pour moi ni pour la majorité des gens. Il faut se rappeler chaque fois de ne pas résister et se dire que quelque chose se cache derrière. »

« C'est facile d'être ici et maintenant quand ça va bien. Quand on est allongé sur une plage en sirotant un pina colada. L’ici et maintenant, c’est savoir que ça va déraper à un moment donné, que je vais faire une gaffe, que quelqu’un va me blesser, que je vais perdre des choses qui me tiennent à cœur, que certains de mes projets n’aboutiront pas, que quelques-uns de mes rêves ne se réaliseront pas. Il faut se demander si nous serons capables de nous accueillir dans ces moments-là. Serons-nous capables de nous assoir avec nos peurs, nos colères et nos tristesses? Serons-nous capables de “rester avec nous” quand ça brasse dangereusement? C’est ça l’ici et le maintenant, ce n’est pas un exercice de volonté, ni même un entrainement. Quand quelqu’un me demande de lui trouver un prof de méditation, je lui réponds que ce n’est pas l’heure que tu passes avec le prof qui compte, ce sont les 23 autres. »
 

L’ART DE L’ATTENTION
Nous souffrons collectivement, c’est en tout cas ce qu’on nous dit, d’un grand manque de concentration. L’agitation nous gagne dès que notre esprit reste concentré plus de 45 secondes sur une seule et même chose. Force est de constater que vivre en mode concentration est épuisant. 

« Au début de la pandémie, les zooms et les rencontres virtuelles sont entrés dans ma vie. Je me suis retrouvée en hyper vigilance. J’étais hyper concentrée, mes sens étaient focalisés. Tout ça était normal puisque j’apprivoisais un nouveau mode de fonctionnement. Quand tu es en hyper concentration trop longtemps et que tes sens sont tous focalisés sur une seule chose, ton système nerveux consomme beaucoup d’énergie. C’est comme si tu chauffais à fond ta maison alors que toutes les portes et fenêtres sont ouvertes. Tu ne peux soutenir ça très longtemps avant que ça ne dérape. »

« Je ne dormais plus, mon système nerveux était “surstimulé”. Je me suis alors rappelé les principes de l’art de l’attention que je pratique lorsque je médite. J’ai pu retrouver le sommeil et apaiser mon système nerveux. J’ai tout repris depuis le début. Dans un monde où tout est propice à détourner notre attention, il faut se trouver des trucs pour ne pas la perdre à la moindre distraction qui passe. Tous les jours, parfois plusieurs fois par jour, j’écrivais sur un post-it : “Déploie ton attention”. Il y en avait partout dans la maison. Quand j’ai commencé à en parler, les gens ne savaient pas de quoi je parlais. Ça fait des années qu’on nous dit qu’on manque de concentration, qu’on souffre de déficits de l’attention. La concentration est une faculté extraordinaire de notre cerveau. Tu veux que la concentration du chirurgien qui t’opère soit à 100 %, celle du pilote d’avion aussi. Pendant qu’on se parle, j’ai besoin de concentration pour suivre le fil de notre conversation. Mais, il ne faut pas perdre de vue ce qu’il y a tout autour. »

« Pour moi, la concentration c’est un peu comme focaliser toute mon attention sur un objectif précis et limité. Et donc tout ce qui n’est pas étroitement lié à l’objet sur lequel je suis concentrée, les sons, les odeurs, l’environnement… passent au second plan! Ça réduit le champ de l’expérience que je suis en train de vivre. Mais en passant de la concentration à l’attention, je passe d’une vision étroite à une vision panoramique de ma réalité. J’ai alors le sentiment que je suis pleinement présente à tout ce que je vis, à l’entièreté de mon expérience. Je ne suis plus coupée du monde, de moi ou de mon environnement, je fais consciemment partie du tout. » 

« Mais si je perds la faculté d’être en même temps consciente de l’environnement qui m’entoure et la tâche sur laquelle je suis concentrée, si je perds ça de vue, j’entre dans l’écran, j’entre en hyper concentration, ma maison surchauffe. En ouvrant mon attention, je suis aussi attentive aux sons, aux bruits, à la lumière, à tout ce qui m’entoure. Je suis présente à mon environnement. Quand je suis en hyper concentration, je ressens la personne qui entre dans la pièce comme un irritant, un obstacle. Je deviens impulsive et réactive. Elle me dérange… » 

« Quand je pratique l’art de l’attention, une personne qui entre dans la pièce ne m’empêche pas d’être attentive à ce que je suis en train de faire, j’accueille l'évènement. Je ne suis pas en mode contrôle ou gestion. Quand on lit un livre en pleine attention notre regard s’apaise, les muscles autour de nos yeux se détendent, notre visage aussi. On a besoin de moins d’énergie, ça nous demande moins d’efforts. On ne peut rester vraiment concentrés pendant plus de 90 minutes. L’art de l’attention, permet de voir plus large. » 

Version intégrale du texte dans le numéro où est paru cet article

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